Le qualité de l’information des journaux télévisés n’a jamais rien eu de remarquable.

Un exemple de plus hier soir, sur la 1ère chaîne (désolé, la « box » démarre toujours sur le canal 1), où un reportage sur la pénurie d’informaticiens nous a été proposé.

Le journaliste a dès le début étalé toute sa compétence en présentant le sujet, puisqu’il a parlé du manque de « programmateurs » : pour sa gouverne, les programmateurs se trouvent dans les appareils ménagers et les stations de radio.

Quelqu’un qui programme, c’est un programmeur, merci pour eux (et pour moi en ce moment).

Viennent ensuite l’inévitable quinquagénaire qui se recycle avec brio, et la non moins inévitable RH qui explique combien elle apprécie les programmeurs, et combien ils sont utiles.

Il y a aussi un chiffre : il y aurait 50 000 (oui, cinquante mille) postes ouverts par an dans le domaine.

Ce chiffre n’a aucun sens, puisqu’il représente les offres, non pas les créations de postes : le turnover de plus de 20% dans les ESN rend obligatoire un recrutement permanent pour maintenir l’effectif.

De plus, la France forme suffisamment d’étudiants aux métiers de l’informatique (1).

Quant à la prétendue pénurie , voir ici : https://munci.org/Penurie-d-informaticiens-un-mythe-planetaire

Il est aussi expliqué dans ce reportage comment apprendre ce métier, si vous aimez les maths, 3 mois suffisent : pour coder avec les pieds, c’est en effet plus que suffisant.

Il faut prévenir l’éducation nationale d’urgence et réduire drastiquement la durée des BTS et autres IUT informatiques, pour lesquels 2 ans sont nécessaires pour pour apprendre à le faire correctement  (Certes on n’y apprend pas que ça, mais de la à le faire en 3 mois…).

Ce serait si simple, mais la réalité est que programmer ne se résume pas à aligner des lignes code qui s’exécutent correctement (n’importe qui avec un minimum de logique peut le faire), c’est prendre en compte l’ensemble des contraintes d’un système d’information, savoir utiliser des bases de données, des normes, des méthodes, etc.

Et là, en 3 mois, bon courage.

Ensuite, le très attendu chapitre sur la rémunération : d’après ces brillants enquêteurs, on peut espérer, comme débutant, jusqu’à 2500 euros nets par mois.

C’est curieux, c’est sensiblement ce que je gagne avec un bac+5 et plus de 20 ans d’expérience.

Ne nous affolons pas pour autant, c’est aussi ce que gagne la majorité de mes collègues de profil similaire, il est vrai que c’est en province.

Ce qu’évite surtout de dire ce « reportage », c’est que le métier de développeur est méprisé en France, surtout dans les ESN/SSII, et c’est même un métier à fuir le plus vite possible pour espérer une évolution de salaire et de carrière. 

La France est dans ce domaine aux antipodes des pays civilisés, dans lesquels un développeur expérimenté, donc meilleur, est valorisé : il ne faut pas oublier que c’est grâce à lui que les logiciels fonctionnent.

Ailleurs un programmeur avec 20 ans d’expérience est un expert qui est respecté et bien rémunéré : comme tout expert.

Ici, un programmeur avec 20 d’expérience est un raté qui n’est pas capable de devenir chef de projets (ce qui signifie souvent « chef de feuille Excel », mais ne le répétez pas).

C’est curieux cette impression de se répéter article après article, année après année.

Mais bien entendu je m’égare, il ne s’agit là que des propos tenus par un presque quinquagénaire aigri par une carrière et une rémunération insignifiantes : allez-y tous, dans trois mois vous gagnerez plus que moi.


Un nouvelle mission, et rien ne change.

Dès mon arrivée, on m’a bien fait comprendre qu’un « technique » comme moi, avec ses mains pleines de cambouis, n’aurait jamais la considération des responsables du projet : pour eux, forcément, si j’accepte ce boulot à mon âge, c’est que je suis mentalement déficient et / ou incompétent (en fait un peu des deux, mais il ne le savent pas encore).

De plus, il y a sur ce projet une guerre entre les 2 principaux sous-traitants.

N’étant d’aucune de ces 2 sociétés, c’est sur mon dos que tout le monde tente de régler ses comptes.

Un exemple : je demande au sous-traitant N°2 des documents pour pouvoir travailler. 

Celui-ci me dit qu’il les a déjà envoyés au sous-traitant N°1, à qui je dois les demander.

Le sous-traitant N°1 répond un heure plus tard dans un mail expliquant qu’il ne les a jamais eus.

Le sous-traitant N°2 me les envoie 3 heures plus tard : une demi-journée perdue pour des problèmes d’ego.

Ca promet, d’autant que les retards accumulés sur le projet rendent impossibles de nouveaux dérapages.

A peine une mission refusée à demi-mot, une autre pointe le bout de son ennui.

Cette fois c’est encore plus misérable : grâce à une recherche par mot-clé de mes chers commerciaux dans la base des CV, une application sur laquelle j’ai travaillé quelques mois il y a plus de 20 ans ressurgit du passé.

J’en deviens immédiatement le spécialiste pour être présenté au client.

Client qui est dans les choux, et qui est en fait surtout intéressé par des compétences antédiluviennes en mainframe (1) parce que même les indiens qu’il font travailler ne s’en sortent plus.

Comme je l’ai rappelé à un commercial qui tentait (il me croit vraiment demeuré ?) de m’expliquer qu’il est difficile de trouver des compétences mainframe : nous avons tous été virés comme des vieux cons incompétents, traités comme des moins que rien, et maintenant vous venez pleurnicher parce qu’il serait difficile de recruter ?

En fait, plutôt que de payer des gens correctement en France, les SSII (je n’arrive toujours pas à dire ESN) font venir à vil prix des indiens, soit-disant pour pallier la pénurie locale.

Mais les visas ont des limites, le niveau d’anglais des français aussi, il faut donc trouver des dinosaures comme moi pour faire avancer le boulot.

Ce projet sur lequel on m’envoie a un problème simple, et récurrent en France : il y a à peu-près 3 managers (en français : remplisseur de feuilles Excel ou de présentations powerpoint) pour un technique.

Si j’avais une carrière à gérer, comme les jeunes managers qui dessinent des plannings, je n’aurais pas accepté cette mission, qui consiste à revenir au plus bas niveau d’un projet, sur des technologies obsolètes.

Heureusement je n’ai plus de carrière depuis longtemps : j’attends juste le courrier recommandé promis par ma responsable RH depuis 18 mois, je vais donc faire mes 7h30 quotidiennes et contractuelles sans trop me fatiguer.

En plus, c’est près de chez moi.

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Ordinateur_central , avec des technologies comme le cobol, le JCL, DB2, Vsam, CICS .

Jamais à cours d’idées, mon employeur m’a présenté une « opportunité ». 

Quand il utilise ce mot, c’est pour dire que c’est une opportunité pour le commercial de faire une belle marge sur mon dos.

La mission en question était aux antipodes de mes attentes, de mes compétences, et de de mon lieu de résidence.

Il s’agissait de faire du support téléphonique pour des utilisateurs, donc un poste de débutant en centre d’appel, après plus de 20 ans d’expérience, il fallait oser.

Cette mission m’aurait contraint à passer 2h par jour, au minimum, dans les bouchons.

Ca fait beaucoup pour aller faire un travail que je n’ai pas envie de faire sur des technologies que je ne connais pas.

Cerise sur le gâteau, ça devait durer des années.

J’ai donc tenté d’argumenter auprès de mon cher commercial, en lui expliquant que je ne tiendrai pas plusieurs mois compte tenu des contraintes du poste, tout en essayant de lui faire comprendre (mais il ne comprend que la marge et son pourcentage) qu’un poste de débutant ne me convient pas.

J’ai conclu par la phrase fétiche des managers à cours d’argument que j’ai pour une fois utilisée à mon profit : « vous prenez vos responsabilités ».

Ils les ont prises, et ont miraculeusement trouvé quelqu’un de plus approprié.

Lorsque je leur avais demandé ce qui dans les 25 ans de mon CV leur faisait penser que j’étais le plus à même de faire du support téléphonique, ils s’étaient énervés, me demandant qui je voyais d’autre…En fait, je voyais n’importe qui à part moi.


Il reste que se voir constamment rabaissé par des commerciaux aussi avides qu’incompétents (sinon ils trouveraient des missions adaptées) est épuisant, on ne s’y habitue jamais.