Voilà, c’est fait, je viens de franchir la très symbolique et fatidique cinquantaine.



Etant droitier j’ai immédiatement regardé mon poignet gauche afin d’y rechercher une preuve de réussite : mais pas de Rolex en vue, j’ai donc raté ma vie.



En plus, c’est l’entrée dans l’âge mûr, qui, comme disait Desproges, précède par définition l’âge pourri.



Ce grand âge maintenant atteint me permet de mesurer à quel point le monde a changé depuis que j’ai commencé à travailler.



De mon temps, bande de jeunes ignorants, il y avait des offres d’emploi  (1) imprimées dans des journaux spécialisés dans l’informatique.



Il fallait faire un beau CV, en noir et blanc parce les imprimantes couleurs ne couraient pas les rues, sans fioritures (de toutes façons impossibles à faire avec un PC de base qui coûtait 2 mois de salaire), et l’accompagner d’une lettre manuscrite (et souvent « obligatoirement manuscrite »).



Aujourd’hui, à en croire nos élites, c’est bien plus simple.

Il suffit de traverser la rue pour trouver un travail, puis pouvoir s’acheter un costume, et enfin traverser le hall de la gare en ayant réussi, étant autre chose que « rien ».



C’est beau le progrès.



(1) Des vraies offres, il y avait vraiment un ou plusieurs postes à pourvoir, le temps du « sourcing » pour remplir des banques de CV n’était pas arrivé, et le web non plus.

Dans la plupart des grandes entreprises, l’accès aux locaux, et parfois à d’autres services, se fait avec un badge.

Afin de ne pas mélanger torchons et serviettes, les prestataires de service ont le plus souvent un badge de couleur différente.

Lorsque durant une mission il m’arrive de croiser un ancien collègue qui a été embauché par ce client, sa première réaction n’est pas de me saluer, mais de vérifier la couleur de mon badge, en le retournant si nécessaire.

Ce n’est qu’après qu’il prendra le temps de me dire qu’il a oublié mon nom et l’endroit où on nous avions travaillé ensemble.

Mais maintenant il sait que je ne fais pas parti des élus, et que je ne dois vraiment pas être très doué pour être encore en ESN à mon âge.

Il passe ensuite quelques minutes à m’expliquer que tout n’est pas si facile, même quand on n’est plus prestataire, qu’il y a la pression, tout ça.

Tu penses ! 30% de salaire en plus, des augmentations régulières, 2 ou 3 semaines de congés supplémentaires, la possibilité d’évoluer et même de changer de métier, et un CE généreux, quel enfer (1) ! Si c’est si difficile, les ESN recrutent, je peux coopter.

Il n’a pas le temps de m’écouter lui raconter ce que j’ai fait depuis toutes ces années, mais prend poliment, et surtout rapidement, congé, afin de ne pas trop verser dans le social ou laisser penser qu’il aurait un semblant de considération pour celui qui n’est qu’un intrus dans « son » entreprise.

C’est comme ça la vie de prestataire.



(1)    Si, si, c’est encore le cas dans beaucoup de grandes entreprises dans lesquelles j’ai été prestataire

Tous les ans, c’est le même rituel : les entretiens annuels, qui prennent des noms différents selon les entreprises, mais recouvrent la même triste réalité : faire semblant d’évaluer les employés.

Le but de ces entretiens est d’occuper les managers dispensables en leur donnant l’occasion de s’imaginer posséder un pouvoir qu’ils n’ont pas.

En effet, les décisions sont prises en haut lieu, où des idiots inutiles décident de ne pas augmenter la majorité des salariés en faisant mine de tenir compte de l’avis des idiots utiles que sont les « managers » qui font passer ces entretiens.

Bien entendu, tous les ans, le manager change afin de prétende ne rien savoir de vos activités passées ni de vos compétences ou envies d’évolution, et donc de ne pouvoir appuyer une demande d’augmentation ou de changement de statut.

Cette année, le brillant chef (ou directeur) de feuille Excel de son état, qui m’a fait passer cet inutile entretien a innové en tentant mettre un titre parlant sur mon CV.

Il ne semble pas au courant qu’après des années de missions sans lien entre elles, dans des domaines et des entreprises hétéroclites, je suis devenu si polyvalent qu’il est possible de me vendre sur n’importe quelle mission.

Enfin presque, n’étant évidemment pas « manager », je ne peux rien gérer.

Mais en fait, si, au gré des missions je suis déjà devenu chef de ceci ou administrateur de cela, mais juste le temps d’une mission, afin de faire plus de marge sur mon dos.

L’entretien s’est très bien passé : le résultat sera une année supplémentaire sans augmentation, sans formation ni perspective d’évolution.

Mais alors, pourquoi ne pas tenter ma change ailleurs ? Doit se demander le lecteur attentif (mais y en a-t-il ? (des lecteurs, pas des gens attentifs))

Simplement parce que personne ne recrute vraiment, les recrutements consistent à remplacer les départs (Le turnover moyen doit dépasser les 20%). Il est même probable que le nombre de postes créés chaque année soit inférieur au nombre de diplômés.

En plus, j’ai presque atteint l’âge fatidique d’une demi-siècle, ce qui rend tout recrutement impossible (ou presque, sur un malentendu peut-être, et encore en CDD ou intérim)

La seule parade que j’ai trouvée est de fournir à mon employeur une quantité de travail directement corrélée à ma rémunération.

Je tiens évidemment compte de l’inflation, et même du prélèvement à la source : je vous laisse imaginer ma productivité actuelle.

C’est pourtant suffisant pour que le client soit content.

Alors en attendant, j’attends.